La Chasse aux Sorcières d'Hollywood
En 2015 est sorti le film Trumbo, de Jay Roach. Le long métrage américain approche sous la forme d'un biopic le personnage éponyme de Dalton Trumbo, scénariste Hollywoodien durant les années 40, 50 et 60, reconnu pour avoir écrit de nombreux chefs-d’œuvre du cinéma, tel que Spartacus, entre autres, un des premiers longs métrages de Stanley Kubrick.
Mais avant tout, le film se concentre sur une partie importante de sa vie, alors qu'il fut blacklisté pour avoir refusé de témoigner devant la Commission des Activités Anti-Américaines, qui visait principalement à empêcher le développement d'idées et activités en lien avec le communisme vers la fin des années 40. Pour avoir refusé, sous couvert du 1er amendement concernant la liberté d'expression, de répondre aux questions du comité concernant son appartenance au parti communiste, il effectua une courte peine de prison, et fut ensuite mis sur une liste noir à Hollywood, tout comme 9 autres concernés, qui lui interdisait simplement d'exercer son travail. Ces 10 hommes furent connus comme "les 10 d'Hollywood". Pendant cette époque, sur laquelle le film se concentre, Trumbo fut malgré tout prolifique en tant que scénariste, mais pas sous son propre nom.
Un an après la sortie de Trumbo, qui fut un succès critique et populaire, sortit Hail Caesar! , des frères Cohen. Ce film, quoi que différent dans sa narration, se déroule dans un contexte extrêmement similaire à Trumbo, dans le Hollywood des années cinquantes. Avec des acteurs tels que Georges Clooney, Channing Tatum et Tilda Swinton, pour ne citer qu'eux, le film apporte une vision comique et parodique à différents thèmes et sujets, avec des personnages inspirés de personnalités de l'époque. Une partie de l'intrigue - quoique cette dernière étant secondaire - se déroule autour d'un groupuscule communiste à Hollywood, dirigé par un acteur américain joué par Channing Tatum, et se moque gentiment de la "Red Scare", peur du communisme considéré comme une menace prépondérante.
Sans lien particulier autre que les thèmes qu'ils abordent, l'époque ainsi que le lieu dans lesquels ils se déroulent, les deux films mentionnent la menace communiste à Hollywood et la peur qui en découle.
En effet, le CAAA installé à Washington se concentrait sur le combat du communisme interne au pays américain, et cela dans une volonté plus générale du gouvernement américain, dont le président était à l'époque Harry S. Truman. Cette époque de chasse aux communistes est connue sous le nom de Maccarthysme. Cette expression éponyme vient du sénateur Mc Carthy, connu pour son activisme virulent envers le communisme, même s'il n'en est pas l'unique représentant. Le Maccarthysme n'est certainement pas une époque glorieuse de l'histoire des États-Unis: elle est aujourd'hui considérée comme une vrai chasse aux sorcières, qui utilisait des moyens sournois et une politique agressive, et allant certainement à l'encontre des principes de liberté d'expression. Elle témoigne du début de la guerre froide et les premières mesures prises par le gouvernement pour combattre l'idéologie qui se répandait en Europe à une vitesse fulgurante. On remarque d'ailleurs que le communisme a très vite disparu du paysage politique américain, encore aujourd'hui.
C'est ce terme de "chasse aux sorcières" qui est des plus intéressants. Il fait référence aux procès de Salem, qui furent opérés entre 1692 et 1693 dans le Massachusetts colonial américain par la société puritaine américaine dont résultat la mort d'une vingtaine de personnes, en particulier des femmes ainsi que certains enfants. Cet évènement meurtrier est aujourd'hui le symbole d'une société rude et sévère ainsi qu'extrêmement religieuse, qui n'hésitait pas à massacrer des innocents au nom de leurs propres croyances.
C'est une œuvre de Hawthorne, La Lettre Écarlate, qui, sans faire directement référence aux procès de Salem, critique cette société. Publié en 1850 par le descendant d'un des juges - qui changea son nom de Hathorne à Hawthorne pour ne pas être associé à son ancêtre - l’œuvre décrit la société Puritaine comme hypocrite et meurtrière. La Lettre Écarlate est aujourd'hui un roman reconnu de la littérature américaine.
Dans une démarche similaire, la pièce The Crucible, d'Arthur Miller, porte sur les procès de Salem. C'est ici où les deux sujets se rejoignent: The Crucible fut publié en 1953, par un auteur ayant directement été accusé d'avoir appartenu au parti communiste et qui fut questionné par la commission. La pièce est une référence directe, un parallèle parfait entre un évènement historique sanglant et un contexte actuel. De plus, la pièce démontre la manière dont on peut dénoncer indirectement, par l'art, et l'intérêt d'étudier la production artistique d'une époque pour y déceler les mouvements contestataires qui y trouvent un média parfait pour s'exprimer librement.
Et c'est dès que le Maccarthysme touche Hollywood que de nombreux films ont tenté de dénoncer la Chasse aux Sorcières librement sous couvert d'une production cinématographique, et cela sous le nez de la commission. Prenons un exemple: Johnny Guitare, de Nicholas Ray, réalisateur reconnu, écrit par Ben Maddow, sous un nom différent, et mettant en scène Joan Crawford et Sterling Hayden.
Sous couvert d'un western, genre populaire pour sa représentation idéalisée d'une partie de l'histoire américaine, le film possède une seconde lecture, et sans s'avancer en profondeur dans le scénario, il reprend le thème de la chasse aux sorcières, qui, comme nous l'avons vu, est plus que pertinent. Un fait intéressant fut souligné par le scénariste du film: de l'acteur jouant un antagoniste important dans le déroulement de l'histoire est joué par un membre actif de l' Alliance Pour la Conservation des Idéaux Américains, tandis que le réalisateur et Sterling Hayden avait été soupçonnés de nombreuses fois de collaboration ou d'appartenance au parti communiste, rendant la présence d'un acteur aux idées aussi opposées comme n'étant pas le fruit d'une pure coïncidence, et donnant un ton au message du long métrage. Ce dernier passa inaperçu dans les salles américaines, tandis que le public européen le trouva plus pertinent, si bien qu'il devint un des classiques de François Truffaut.
Alors que le gouvernement déploie une politique agressive en réponse à la guerre froide, l'expression directe de certains actes ou opinions, aujourd'hui dérisoires, sont sévèrement punis. Seulement, plusieurs années après, on peut remarquer la manière dont cette situation politique eut une influence forte sur la production artistique du pays, seul échappatoire face au manque de liberté d'expression directe et la peur du communisme. La chasse aux sorcières n'a pas été inventée par les américains: elle est présente partout, et provient presque exclusivement d'une force supérieur, souvent l'état, ou parfois une foule, voir l'opinion publique seul. Elle fut présente dans les deux blocs, dans l'Allemagne Nazie, dans les colonies américaines, au moyen âge, dans les balbutiements du christianisme, et à toutes les époques et lieux s'y on la cherche, y compris aujourd'hui, et se base en particulier sur le contrôle des moyens de communication et d'expression pour tourner l'opinion des masses dans un sens plutôt que dans un autre. Mais la communication comme arme des chasseurs peut aussi être un moyen de défense pour les sorcières, et si l'on contrôle à la perfection les artifices et éléments scénaristiques, on peut changer une idée pourtant profondément ancré dans la terre.